À Calais, les dentelliers perpétuent depuis deux siècles un art minutieux malgré les défis actuels de transmission et de survie. Au cœur de cette industrie prestigieuse, Rémy Dumont, âgé de 26 ans, manie avec précision les métiers à tisser Leavers, des monstres de fonte hérités de la Révolution industrielle, capables d’entrelacer jusqu’à 15 000 fils. Il est l’un des deux seuls apprentis cette année à suivre une formation professionnelle en alternance dans ce secteur, où artisanat et industrie se rencontrent.
Son frère aîné Anthony, âgé de 29 ans, partage également cet héritage familial, leur père ayant également travaillé dans ce domaine avant d’être licencié. À la Cité de la dentelle de Calais, les deux frères apprennent au milieu des visiteurs l’utilisation de ces machines patrimoniales, au sein d’un environnement imprégné d’histoire et de tradition.
La dentelle de Calais-Caudry, prisée par les grands couturiers mondiaux tels que Yves Saint Laurent, Givenchy et Gucci, a récemment obtenu une indication géographique en février pour protéger son authenticité contre les contrefaçons. Malgré cela, l’industrie fait face à une diminution continue de son activité, avec seulement six entreprises encore en activité, contre une quarantaine en 2001 et 230 dans les années 1950.
Divers métiers : ourdisseur, écailleur bobineur
Inventés en Angleterre au début du XIXe siècle et perfectionnés en France en 1837 grâce au système Jacquard permettant l’ajout de motifs, les métiers à tulle mécanique imitent le geste minutieux des dentellières travaillant traditionnellement au fuseau.
Sur les métiers Leavers, Lydia Kamitsis, spécialiste de la mode, souligne l’importance capitale de la présence humaine, de la main, de l’œil et de l’oreille, ce qui confère à cette industrie un statut d’excellence. Selon elle, c’est cette combinaison unique qui distingue la dentelle de Calais-Caudry.
La fabrication de la dentelle Leavers nécessite l’intervention de 25 métiers différents tels que ourdisseur, bobineur, écailleur, chacun jouant un rôle crucial dans le processus. Cependant, depuis une vingtaine d’années, cette industrie subit de plein fouet la concurrence des dentelles tricotées, souvent produites en Asie à un rythme plus rapide et à un coût nettement inférieur, de 10 à 15 fois moins élevé.
Les marques de textile de milieu de gamme se tournent vers ces alternatives, réservant ainsi le marché étroit du luxe aux dentelliers de Calais-Caudry.
Anthony Dumont, apprenti chez Desseilles, partage que l’entreprise a dû licencier une partie de son personnel qui les avait formés. En décembre dernier, Darquer & Méry a repris Desseilles, mais cela s’est accompagné de 50 suppressions de postes dans un plan social.
Malgré le potentiel d’accueil élevé de l’unité de formation dentelle, Stéphane Capon, formateur, explique que le métier peine à attirer les jeunes et souffre d’une demande faible des entreprises.
Des stars comme Kate Middleton ou Beyoncé
“Dans l’industrie de la dentelle de Calais, la population est fortement vieillissante, avec une moyenne d’âge autour de 55 ans. Si ces travailleurs expérimentés ne sont pas remplacés, il y a un risque d’extinction”, exprime avec préoccupation celui qui avait formé des classes de 30 élèves au début des années 2000.
À Caudry, l’entreprise de dentelle Solstiss peut se targuer d’avoir habillé Beyoncé et d’avoir contribué à la robe de mariée de Kate Middleton. Cependant, son chiffre d’affaires et son effectif ont été réduits de moitié au cours des quinze dernières années.